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lundi 28 février 2011

"Les Regrets" de Du Bellay

Si je n'ai plus la faveur de la Muse,
Et si mes vers se trouvent imparfaits,
Le temps, le lieu, l'âge où je les ai faits,
Et mes ennuis leur serviront d'excuse.

C'est sur ce ton plein d'humilité que Du Bellay entame son recueil qui, à l'exception du poème dédicace, n'est constitué que de sonnets.
Les premiers qui nous sont proposés ont pour thème commun la poésie elle-même. Pour exemple, je vous propose le sixième sonnet, où le poète écrit de façon admirable son incapacité à écrire - ce qui n'est pas le moindre des paradoxes :

Las, où est maintenant ce mépris de Fortune ?
Où est ce cœur vainqueur de toute adversité,
Cet honnête désir de l’immortalité,
Et cette honnête flamme au peuple non commune ?

Où sont ces doux plaisirs qu’au soir sous la nuit brune
Les Muses me donnaient, alors qu’en liberté
Dessus le vert tapis d’un rivage écarté
Je les menais danser aux rayons de la Lune ?

Maintenant la Fortune est maîtresse de moi,
Et mon cœur, qui soulait être maître de soi,
Est serf de mille maux et regrets qui m’ennuient.

De la postérité je n’ai plus de souci,
Cette divine ardeur, je ne l’ai plus aussi,
Et les Muses de moi, comme étranges, s’enfuient.

Mais la majeure partie des poèmes des Regrets sont des poèmes satiriques, d'où ce 62e sonnet :

Ce rusé Calabrais tout vice, quel qu’il soit,
Chatouille à son ami, sans épargner personne,
Et faisant rire ceux que même il époinçonne,
Se joue autour du cœur de cil qui le reçoit.


Si donc quelque subtil en mes vers aperçoit
Que je morde en riant, pourtant nul ne me donne
Le nom de feint ami vers ceux que j’aiguillonne :
Car qui m’estime tel, lourdement se déçoit.

La satire, Dilliers, est un public exemple,

Où, comme en un miroir, l’homme sage contemple
Tout ce qui est en lui ou de laid ou de beau.

Nul ne me lise donc, ou qui me voudra lire

Ne se fâche s’il voit, par manière de rire,
Quelque chose du sien portrait en ce tableau
.

C'est Rome, avant tout, qui fait l'objet de cette satire. Du Bellay est condamné à y demeurer pendant plusieurs années, dans le regret de sa terre natale. Il ne trouve à Rome que vice et corruption ; rien de la Rome tant célébrée :

Ne pense, Robertet, que cette Rome-ci
Soit cette Rome-là qui te soulait tant plaire.
On n’y fait plus crédit, comme l’on soulait faire,
On n’y fait plus l’amour, comme on soulait aussi.


La paix et le bon temps ne règnent plus ici,
La musique et le bal sont contraints de s’y taire,
L’air y est corrompu, Mars y est ordinaire,
Ordinaire la faim, la peine, et le souci.

L’artisan débauché y ferme sa boutique,

L’otieux avocat y laisse sa pratique ;
Et le pauvre marchand y porte le bissac :

On ne voit que soldats, et morions en tête,

On n’oit que tambourins et semblable tempête,
Et Rome tous les jours n’attend qu’un autre sac.


(Sonnet 83)

Certains poèmes prêtent vraiment à sourire, même si, comme le souligne le poète, cela ne doit pas faire oublier la sincérité de sa douleur. Je pense notamment au sonnet 149 :

Vous dites, courtisans: les poètes sont fous,
Et dites vérité : mais aussi dire j’ose
Que tels que vous soyez, vous tenez quelque chose
De cette douce humeur qui est commune à tous.

Mais celle-là, messieurs, qui domine sur vous,

En autres actions diversement s’expose :
Nous sommes fous en rime, et vous l’êtes en prose :
C’est le seul différent qu’est entre vous et nous.

Vrai est que vous avez la cour plus favorable,

Mais aussi n’avez-vous un renom si durable :
Vous avez plus d’honneurs, et nous moins de souci.

Si vous riez de nous, nous faisons la pareille :

Mais cela qui se dit s’envole par l’oreille,
Et cela qui s’écrit ne se perd pas ainsi.

Pour finir, j'aimerais vous transmettre un sonnet qu'il faudrait que je me grave à l'esprit, à savoir le sonnet 52 :

Si les larmes servaient de remède au malheur,
Et le pleurer pouvait la tristesse arrêter,
On devrait, Seigneur mien, les larmes acheter,
Et ne se trouverait rien si cher que le pleur.

Mais les pleurs en effet sont de nulle valeur :
Car soit qu'on ne se veuille en pleurant tourmenter,
Ou soit que nuit et jour on veuille lamenter,
On ne peut divertir le cours de la douleur.

Le cœur fait au cerveau cette humeur exhaler,
Et le cerveau la fait par les yeux dévaler,
Mais le mal par les yeux ne s'alambique pas.

De quoi donques nous sert ce fâcheux larmoyer ?
De jeter, comme on dit, l'huile sur le foyer,
Et perdre sans profit le repos et repas.

En conclusion, j'ai passé un agréable moment de lecture, quoique mon attention ait eu tendance à se relâcher vers la fin. Quand je lis des recueils de poèmes, c'est toujours comme ça - Les Fleurs du mal excepté. ^^ J'admirerai toujours cet art de la rime, que si peu parviennent à maîtriser. Ce n'est pas le tout de faire rimer, il faut encore que ce soit harmonieux et que ça semble "naturel". Pour ma part, je suis incapable d'une telle prouesse. Aussi ai-je toujours préféré m'abstenir d'écrire des poèmes de cette espèce. Je me sens plus à l'aise avec le vers libre... ce dont vous pourrez juger par vous-même une autre fois. ;)

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