°C-ute Canapé

mercredi 14 août 2013

"La Tache" de Philip Roth


J'ai profité du Challenge Comme à l'école et du thème du Cercle de Lecture de juillet-août pour lire enfin ce roman offert par ma mère.

Présentation de l'éditeur
A la veille de la retraite, un professeur de lettres classiques, accusé d'avoir tenu des propos racistes, préfères démissionner plutôt que de livrer le secret qui pourrait l'innocenter.
Tandis que l'affaire Lewinski défraie les chroniques bien-pensantes, Nathan Zuckerman ouvre le dossier de son voisin Coleman Silk et découvre derrière la vie très rangée de l'ancien doyen un passé inouï, celui d'un homme qui s'est littéralement réinventé, et un présent non moins ravageur : sa liaison avec la sensuelle Faunia, femme de ménage de trente-quatre ans.
Après Pastorale américaine et J'ai épousé un communiste, La tache complète la trilogie de Philip Roth sur l'identité de l'individu dans les grands bouleversements de l'Amérique de l'après-guerre, où tout est équivoque et rien n'est sans mélange, car la tache "est en chacun, inhérente, à demeure, constitutive, elle qui préexiste à la désobéissance, qui englobe la désobéissance, défie toute explication, toute compréhension. C'est pourquoi laver cette souillure n'est qu'une plaisanterie de barbare et le fantasme de pureté terrifiant".

Mon avis
Ce roman me fait penser à un tableau. Malgré le nombre important de pages (480), l'histoire en elle-même pourrait ne faire que quelques lignes. Ce qui importe vraiment, ce sont toutes les digressions construites autour, qui sont autant de points de vue que l'on peut aborder vis-à-vis du tableau en question. Ces digressions abordent en général des thèmes très intéressants : le conflit entre l'individu et le groupe auquel il appartient, l'hypocrisie américaine sur les questions raciales, les vétérans du Vietnam, la solitude d'une française normalienne aux États-Unis,... La seule digression qui ait failli avoir raison de moi, c'est celle sur le passé de boxeur de Coleman Silk ; ça ne m'a pas intéressée du tout, et puis j'étais obnubilée par le fait que je n'arrivais pas à avaler qu'on puisse penser qu'il n'était pas ce qu'il était (oui, ça a l'air tordu, mais faut lire pour comprendre >< si je suis plus claire, je vais vous spoiler).
Concernant l'histoire en elle-même, j'ai tout de suite été touchée par cette histoire de "zombies". Je m'explique... Au début du roman, Coleman Silk est accusé de racisme pour avoir prononcé ce mot pour désigner des élèves absents depuis le début de l'année. Il l'a utilisé dans son sens premier, mais il se trouve que ce mot peut aussi être utilisé pour désigner des Noirs de façon péjorative. Or, il se trouve que les dits élèves sont noirs... ce que ne savait pas Coleman Silk.
"Il suffisait de formuler une accusation pour la prouver. D'entendre une allégation pour la croire. L'auteur du forfait n'avait pas besoin de mobile, au diable la logique, le raisonnement. Il suffisait d'une étiquette. L'étiquette tenait lieu de mobile. Elle tenait lieu de preuve. Elle tenait lieu de logique." (p. 390)
Cela m'a rappelé une affaire assez similaire qui s'est produite récemment en Corée, avec une idole que j'aime beaucoup... Accusée de faire partie d'un groupe de terroristes, favorables à l'ancienne dictature, pour avoir osé prononcer le mot "démocratisation", à l'origine encore dans son sens premier. Oui, parce que voilà, les dits pro-dictature utilisent souvent ce mot, en lui attribuant un autre sens...
Les personnages en eux-mêmes sont très intéressants, et malgré leur apparente grande différence, ils se ressemblent tous beaucoup. Tous sont des marginaux, chacun à leur façon. D'un côté, on a Coleman Silk et Delphine Roux, qui ont voulu préserver à tout prix leur individualité et qui en paient tous deux les conséquences. De l'autre, on a Faunia et Les, devenus marginaux totalement malgré eux, l'une parce qu'un homme a abusé d'elle et que sa mère l'a abandonnée, l'autre parce que le pays l'a abandonné.
En conclusion, ce livre m'a beaucoup intéressé, sans me transporter. Le chapitre 2 est un long cap à passer, à mon sens, mais je n'ai pas été déçue de tenir bon. Ce n'est pas un livre pour rêver, mais plutôt pour réfléchir.

Extrait 1
Si jamais il le retrouve, cet enfoiré, il va te le tuer tellement vite qu'il saura même pas d'où ça lui tombe ; et personne saura que c'est lui, parce qu'il sait travailler sans bruit. Parce que c'est à ça que le gouvernement l'a formé. C'est un tueur qualifié, grâce au gouvernement des États-Unis. Il a fait son boulot. Il a fait ce qu'on lui a dit de faire. Et c'est comme ça qu'on le remercie, merde ! on le colle à la réanimation, on l'envoie dans la bulle ! Lui, dans la bulle, merde ! Même un chèque, ils veulent pas le lui donner. Pour tout ça, il s'en tire avec vingt pour cent d'invalidité ! Vingt pour cent ! Il fait vivre un enfer à sa famille, et qu'est-ce qu'on lui donne ? Vingt pour cent. Et encore, faut ramper. "Alors, racontez-moi ce qui s'est passé", ils lui disent, les petits assistants sociaux, les petits psychologues, avec leurs diplômes. "Vous avez tué un homme au Vietnam ?" Y a un homme qu'il a pas tué, au Vietnam ? Tuer, c'était pas ça qu'il était censé faire, là-bas ? C'était pas pour ça qu'on l'envoyait ? Pour buter les bridés, merde ! On a dit tous les coups sont permis, O.K., tous les coups il les a faits. Tout tourne autour du mot tuer. Tuer des bridés ! Comme si cette question suffisait pas dans la connerie, faut qu'ils lui filent un psychiatre chinetoque, un bridé, merde ; il a servi son pays, et on est pas foutu de lui trouver un toubib qui parle anglais, merde ! Tout autour du Northampton, il y a des restaus chinois, des restaus vietnamiens, des épiceries coréennes, et pour lui ? T'es viet, t'es niacoué, tu t'en sors, on te file un restau, on te file un commerce, une épicerie, t'as une famille, tu fais des bonnes études. Mais pour lui, peau de balle ; parce qu'on voudrait qu'il soit mort.. Ils regrettent qu'ils soit revenu. Il est leur pire cauchemar.

Extrait 2
La tyrannie des convenances. En ce milieu d'année 1998, lui-même demeurait incrédule devant le pouvoir et la longévité des convenances américaines ; et il considérait qu'elles lui faisaient violence ; le frein qu'elles imposent toujours à la rhétorique officielle ; l'inspiration qu'elles procurent à l'imposture personnelle ; la persistance, presque partout, de ces sermons moralisateurs dévirilisants que Mencken nomme le crétinisme, Philip Wylie le Momisme et les Européens, sans souci d'exactitude historique, le Puritanisme américain ; que Ronald Reagan et ses pairs nomment les valeurs essentielles de l'Amérique et qui maintient sa juridiction impérialiste en se faisant passer pour autre chose - pour n'importe quoi, sauf ce qu'il est. La force des convenances est protéiforme, leur domination se dissimule derrière mille masques : la responsabilité civique, la dignité des wasps, les droits des femmes, la fierté du peuple noir, l'allégeance ethnique, la sensibilité éthique des Juifs, avec toute sa charge émotive. A croire que non seulement Marx, Freud, Darwin, Staline, Hitler ou Mao n'ont jamais existé, mais que, pire encore, Sinclair Lewis n'a jamais existé. On croirait, se dit-il, que Babbitt n'a jamais été écrit. C'est à croire que la conscience est restée imperméable à tout embryon de réflexion et d'imagination susceptible de la perturber. Un siècle de destruction sans précédent dans son ampleur vient de s'abattre comme un fléau sur le genre humain - on a vu des millions de gens condamnés à subir privations sur privations, atrocités sur atrocités, maux sur maux, la moitié du monde plus ou moins assujettie à un sadisme pathologique portant le masque de la police sociale, des sociétés entières régies, entravées par la peur des persécutions violentes, la dégradation de la vie individuelle mise en oeuvre sur une échelle inconnue dans l'histoire, des nations brisées, asservies par des criminels idéologiques qui les dépouillent de tout, des populations entières démoralisées au point de ne plus pouvoir se tirer du lit le matin, sans la moindre envie d'attaquer leur journée... voilà qui aura marqué le siècle, et contre qui, contre quoi, cette levée de boucliers ? Faunia Farley. Ici, en Amérique, on prend les armes contre Faunia Farley ou Monica Lewinsky !

14/20
Bon moment de lecture

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