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vendredi 30 décembre 2011

"Petite soeur, mon amour" de Joyce Carol Oates


Un livre que j'ai lu progressivement de juillet à septembre.


Quatrième de couverture
Le 25 décembre 1996, JonBenet Ramsey, six ans et demi, était découverte assassinée dans la cave de ses parents à Boulder, une petite ville du Colorado. L'enfant avait été battue et étranglée. L'affaire souleva une émotion d'autant plus grande à travers l'Amérique que la petite victime, une " mini-Miss " vedette de multiples concours de beauté, était très célèbre. Les médias s'abattirent sur la ville et la famille faisant vivre à tous un véritable enfer d'insinuations, de suspicions et de mensonges destructeurs. Pourtant , et malgré les enquêtes successives, le crime est, jusqu'à ce jour, demeuré un mystère.
Pas pour Joyce Carol Oates qui, s'emparant de ce fait-divers à la manière - géniale - dont elle s'est approprié la vie de Marylin Monroe (dans Blonde) en fait une histoire effarante que reconstruit dix ans après le frère de la victime. Les protagonistes, les lieux, les circonstances sont à peine modifiés. La petite fille s'appelle maintenant Bliss, c'est une championne de patinage sur glace, l'enfant adoré de ses parents, la coqueluche d'un pays, la soeur aimée et jalousée par un frère, son aîné de trois ans, Skyler. Skyler qui depuis le meurtre a vécu dans un univers de drogues, de psys et d'établissements médicalisés. Agé aujourd'hui de dix-neuf ans, et toujours pas remis des secousses de son adolescence, il fait de son récit une sorte de thérapie. Ses souvenirs sont à la fois vivaces, disloqués et déformés. Une technique que Oates maîtrise parfaitement et qu'elle utilise ici avec d'étonnants effets. Peu à peu émerge le nom du coupable : le père - homme d'affaires ambitieux -, la mère - arriviste forcenée -, un étranger cinglé ou bien... le narrateur lui-même ?
Tous les ingrédients préférés de Oates sont là : la vanité féminine, la stupidité masculine, la famille dysfonctionnelle, l'angoisse du parvenu, le christianisme de charlatan, les dérives de la psychanalyse, le vampirisme des médias, l'incompétence de la police. Pour produire en fin de compte un chef-d'oeuvre hallucinant, un dépeçage au scalpel de l'âme humaine et de l'horreur ordinaire...


Mon avis
Un roman éprouvant. Joyce Carol Oates part d'un fait divers et tricote tout autour un mélange de thriller et de drame psychologique, pour paraphraser une Top Lectrice de France Loisirs. Il est d'une telle lenteur qu'il est parfois dur d'avancer. Ce n'est certes pas le roman le plus facile de Mme Oates. Au demeurant, elle reste fidèle à elle-même. La société américaine en prend une fois de plus pour son grade. L'auteur s'attaque surtout au culte des apparences. Le noir destin de Bliss n'est-il pas du à ce terrible culte ? Et que dire de celui de Skyler ? Sa jambe qui boite est à elle seule un symbole... Betsey elle-même finira par succomber sous les coups de son fanatisme pour les apparences. Quant à la télévision, temple du culte en question, elle est loin d'être épargnée dans ce roman. Journalistes et téléspectateurs sont présentés comme de véritables vautours, avides de "Sex and Crime Show". Au-delà de ce procès des apparences, j'ai été très marquée par un autre thème cher à Joyce Carol Oates (qu'on pense aux "Chutes", par exemple) : "la famille dysfonctionnelle", pour reprendre l'expression utilisée sur la quatrième de couverture. Il prend dans ce roman une force particulière. Les personnages des parents sont infects. Leur égoïsme n'a aucune limite, au point qu'ils n'hésitent pas à détruire leurs propres enfants, et ce dans tous les sens du terme. Le cœur du lecteur est lourd face à ce spectacle sordide et mesquin, à cet émiettement de deux êtres innocents... Et le sermon du pasteur Bob - "Un homme est fort dans la mesure où il est capable de pardonner à ceux qui l'ont blessé" - nous paraît bien dérisoire, surtout lorsque l'on voit que le pardon, vers lequel se tourne finalement Skyler, n'amène qu'à la déception... 

Extrait
Maman a fait de Bliss une copie conforme, modèle poupée, de Betsey Rampike : mère et fille portent la même tenue glamour - robe de bal zébrée en velours froissé au corsage audacieusement ajusté et à la jupe en velours froissé au corsage audacieusement ajusté et à la jupe évasée, bas noirs losangés, escarpins en verni noir ornés de roses rouges en tissu. [...] Expertement, avec la plus grande légèreté, car Betsey Rampike désapprouve vivement ces mères de patineuses qui "maquillent" leurs enfants "comme des Jézabel" - maman a fait du visage de petite fille quelconque de Bliss un visage de belle petite fille en soulignant ses sourcils pâles, quasi inexistants, au crayon brun clair et en "rehaussant" ses lèvres pâles d'une "touche" de rose corail. Et peut-être un peu de maquillage liquide, et un "voile" subtile de poudre. (L'ironie veut - ce que peu de gens savent, et surtout pas les fans dévoués de Bliss Rampike - que Bliss ne soit pas particulièrement jolie ni même "mignonne" ; mais un visage d'enfant est bien plus facile à embellir qu'un visage d'adulte, si l'on sait s'y prendre. Et Betsey Rampike a appris !) Maman elle-même est très belle ce soir-là, de l'avis de Skyler, car les yeux de maman brillent comme des pierres précieuses, théâtralement mis en valeur par un rimmel d'un noir d'encre ; et les lèvres de maman sont pleines, pulpeuses, rouge grenat, et les rides et les "pattes d'oie" qui la contrarient tant depuis quelques mois - quoi de plus injuste que d'avoir des rides parce qu'on sourit, se plaint-elle, parce qu'on est aimable et qu'on sourit ? - ont mystérieusement disparu après ses rendez-vous chez le Dr Screed, le dermatologue/otolaryngologue de Fair Hills, chaudement recommandé par les nouvelles amies de maman. Maman est très émue de conduire les nouveaux arrivants impatients jusqu'à sa fille, installée telle une princesse de conte fées dans un coin de la salle de séjour, maman est terriblement émue d'entendre ses amies s'exclamer, les yeux agrandis de respect/envie : "Ohhh ! Cette enfant est adorable ! Et ces tenues jumelles mère-fille... étonnant."
Maman radieuse reste cependant maman oeil-de-lynx qui remarque que sa fille ne lève pas son visage d'ange vers Mme Frass (épouse de juge) et ne lève pas les yeux vers Mme Muddick (épouse de multimillionnaire), mais regarde fixement dans le vide comme une poupée mécanique.


4/5
Un bon moment de lecture 

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